Sujet: Kreis [the end of the line?] Dim 25 Jan - 20:12
Infos Générales
Surnom ─ "Ma vieille !", s’écrit Basile, affectueux. S’il savait… Âge ─ Très vieille, sans doute, mais qu’est-ce que le temps lorsque l’on ne peut pas mourir ? Maître ─ Gesetz Quartier d'origine ─ La grande désolation, Sud. Quelle ironie qu’elle vienne de là où il n’y a pas de vie. Fonction ─ Le Kreis de la vie. Ce circuit, ce cycle infernal. Der Teufelskreis. Adhésion ─ Pro-reine. Kreis ne remettra jamais en cause Gesetz. Les autres maîtres n’ont pas d’importance à ses yeux. Se souvient-elle seulement de leur existence ? Ceux qui ne souffrent pas ne la font pas souffrir.
Musique de fond
Réputation
On dépasse la frêle silhouette. On ne s’arrête pas. Les ombres éplorées ne font pas attention à cette tache blanche, perdue entre les tombes. Le cercueil est déposé. Des litanies se récitent. La spectatrice fredonne avec eux.
Compte un mort de plus.
Puis s’éloigne et disparaît ; elle est attendue ailleurs. Sa vie est une longue marche, qui ne se termine pas. Elle parcourt avec attention les paysages des yeux, connaissant toute la prison. Elle est mignonne. On dirait qu’elle sourit. Elle est sûrement heureuse.
Peut-être est-elle ubiquiste, certains pourraient jurer de l’avoir vu un instant quelque part, le suivant à des kilomètres de là.
Tout le monde se trompe. Kreis n’est nulle-part.
Recroquevillée sur la banquise, elle attend le gel. Mais Lys n’est pas là.
Inspirant l’air vicié de la forêt des spores, elle suffoque. Mais ses jambes continuent de la soutenir.
Plongeant dans la cité engloutie, elle espère qu’Abschaum va venir la noyer. Mais la belle l’ignore et passe son chemin.
Gravissant les pentes de la montagne du brasier, elle brûle ses pieds nus sur les braises. Mais sa peau cicatrise.
Elle parvient à la vallée des audacieux, où Jäger sait qu’elle fera semblant de se perdre ; ses griffes la lacèrent avec lassitude, sa gueule s’ouvre et se referme, mord avec hargne les marques rouges tachant son corps, la délaisse telle une loque ensanglantée sur le sol puant de sa tanière. Mais en vie.
En vie.
Toujours en vie.
Cette saleté de vie.
Observant dans tous les sens, elle guette, guette son salut qui ne vient pas.
Joueur
Pseudo ─ Aryslied (BOUH ! c’est Húbris ! – j’ai vite cédé, j’adore Kreis) Âge ─ Je sais plus. Ah si, 19. Avatar ─ Cette adorable Shiro (Deadman Wonderland)
Questionnaire
Quelle relation entretiens-tu avec ton créateur ? ─
Gesetz est belle. Gesetz est puissante. Gesetz modèle et insuffle une mobilité éternelle. Ce qui sort de sa main est parfait, immortel, unique. Kreis ne fait que de la crasse, des cadavres, des larmes. Kreis admire la reine et l’aime, surtout, profondément. Pourtant, Kreis la déteste, aussi. Jamais sa créatrice ne l’a défendue contre Jäger, même lorsque son châtiment était injuste. Jamais elle n’a cherché à confirmer ou à soulager cette terrible angoisse que d’être sans doute fautive de l’existence des Chimères. Elle croise dans un couloir du château sa silhouette adorée et haïe. Ses pas amples augurent sa prestance. Ses yeux, au passage, ne se posent pas sur la créature. La souveraine ressent peut-être de la honte à son sujet. Kreis commet des erreurs et ne parvient pas à les rattraper. Kreis est laide. Kreis ne sait même pas sourire correctement. Kreis lève son menton blanc en direction de sa créatrice et la salue, lui souffle des éloges, lui pose des questions. Mais la réciproque n’est jamais vraie. Kreis n’existe plus à ses yeux qu’au même titre qu’un sujet gênant. Gesetz fait mine d’appeler Jäger. Kreis fuit.
En quoi consiste ta fonction ? ─ Kreis n’est jamais parvenue à superposer des mots à ses ressentis, pour expliquer sa tâche. S’occuper de la vie et de la mort à Gefängnis… est comme entendre un million de voix chantantes, douces, une mélopée incessante, tantôt consonante, tantôt disharmonique. Jusqu’à ce que l’une d’elle s’éteigne, emportant avec elle une mélodie insaisissable, une raison de vivre pour Kreis. Alors elle tente de joindre sa faible voix aux autres, compenser son mal et la souffrance universelle par une cadence d’espoir, trop vite rompue.
Que penses-tu des Perdus ? ─ Chaque humain est un animal. Sa vie est un mélange unique de sentiments, des positifs, des négatifs, tout ça mixé étrangement et donnant une couleur spéciale, qui semble comme exploser à sa mort et sombrer dans le néant – cela fait si mal… Oh, surtout, ils ont une maman. Kreis a cru un bref instant – à l’échelle de sa vie – qu’elle avait aussi une maman. Avant de comprendre qu’elle n’est qu’un objet. Un objet incassable. Mais juste un objet. C’est si douloureux, de voir un Perdu insulter une Chimère ! Si Kreis n’avait pas encore commit une erreur, ils seraient tous égaux. Pourquoi ne peuvent-ils pas le comprendre ? Kreis palpe la haine et elle amplifie le poids qui écrase ses minces épaules immaculées.
Que penses-tu de la monarchie des Maîtres, du bellicisme des Rafleurs, de la persécution des Chimères et des aspirations des Rêveurs ? ─ Tout est de la faute de Kreis. Du moins en ce qui concerne les Rafleurs et les Chimères – Kreis ne connaît pas d’autre maître que la reine, à part peut-être Grausamkeit, puisqu’il contribue d’une certaine façon à sa fonction. Elle a vu la maison de Hurle brûler, elle observait de loin la Chimère fautive, comme elle observe toutes les autres Chimères. Kreis s’en voudra toujours de ne pas avoir agi pour sauver cette femme des flammes. Désormais, le jeune homme a créé un groupe qui perpétue des atrocités envers ces êtres, vis-à-vis desquels Kreis se sent tant fautive, voudrait tant pouvoir soulager leur fardeau. Depuis, le sang coule et des coups de couteaux sont portés à son âme, à chaque rafle meurtrière. Kreis se sent plus impuissante que jamais. Plus détestable. Quelques Chimères cherchent à riposter dans la violence. D’autres en ralliant un groupe mystérieux, qui parle, et parle, et voyage un peu. Kreis en croise, sur les routes. Des Rêveurs. Elle trouve ce nom beau. Kreis ne connaît pas les rêves ; elle ne dort pas. Elle imagine donc un chant permanent et fort, une douceur de vivre inaccessible pour elle. S’il réside encore en Kreis le moindre espoir, elle le fonde totalement en eux. Trouveront-ils un moyen d’équilibrer pour elle la balance ? De lui permettre de mourir ?
Profil Psychologique
Vie, mort, vie, mort, vie, mort. La mélopée se répète, se répercute, écho amplifié par les limites de la prison, irrégulier, dansant, chantant, monstrueux.
Pardon, pardon, pardon, pardon…
Kreis est au milieu de tout cela. Kreis voudrait se réjouir de donner la vie. Les plaines verdissent sur son passage. Les arbres soupirent et les fruits tombent, libèrent des graines, donnent de jeunes pousses. Des animaux naissent. Parmi eux, les hommes. Même si chaque cadavre la rend triste, chaque naissance compense. Elle sourit, rit et le Kreis suit son cours.
Pardon, pardon pardon, je suis tellement désolée…
Une tache noire persiste et s’élargit dans son regard. La pire faute de son existence, décuplée des milliers, des milliers de fois.
Tous la hantent. Il n’est pas un visage qu’elle oublie, pas un nom qui lui échappe, pas une existence qui se fonde dans les abîmes obscurs de la prison. Ils demeurent. Tous ces morts. Tous ces cadavres. Toutes ces erreurs. Toutes ces chimères.
Kreis marche plus vite que les animaux. Un jour, sans doute, a-t-elle su voler, mais pouvoir voir le monde du vivant de si haut lui serrait le cœur, cet organe qu’elle n’est pas sûre d’avoir, bien qu’un rythme constant et lent s’échappe de sa poitrine, bien que les tortures dévoilent un sang écarlate et que ses mains plaquées par un réflexe stupide que sa créatrice a bien pris soin de programmer en elle, contre son ventre à nu, retiennent des masses chaudes et palpitantes.
Kreis ne sait pas comment elle se déplace. Kreis ne sait pas comment elle survit. Kreis ne sait pas pourquoi elle peut ressentir avec tant de certitude chaque cellule se diviser, se développer, fonctionner, communiquer puis se nécroser, être désagrégée, digérée, décomposée puis disparaître. Un pendule oscille lentement, une corde tendue agitée d’une onde de choc, vers le haut, vers le bas, décomposé en dizaines de mesures, en centaines de cadences, en milliers de rythmes, en millions de notes. Ainsi lui apparaît le monde.
Pardon, pardon, pardon, pardon. Elle n’en peut plus de paroles vaines, d’excuses se perdant dans le vent ; car de la place qu’on lui a confié, ce promontoire maudit, elle sait que chaque existence se perd et ne revient jamais. Que chaque vie est unique et que chaque mort est irréversible. Injustice ! Pour elle ou pour les vivants, elle ne sait pas. Serait-elle si égoïste ? Elle se recroqueville dans une faille, à l’abri, pendant quelques jours, réfléchissant, méditant, mais quoiqu’il advienne sans cesse interrompue par les morsures terribles des décès.
Kreis avance toujours, à pied, parfois rampante tandis que la douleur la cloue au sol, misérable et perdue au milieu de nulle-part.
D’un côté de la balance, la vie. De l’autre, la mort.
Tout est si simple.
La nuit tombe, inlassablement, chaque soir ; Kreis ne dort pas – comment le pourrait-elle ? Elle connaît depuis longtemps chaque recoin de la prison aussi bien illuminé de la lueur du Solarium qu’obscurcis, en nuances de gris nocturnes où elle seule demeure pâle.
Kreis peut-elle être heureuse ?
Parmi ses rares moments de répit, elle a des amis, des gens à qui parler, des individus pour la faire sourire, même si elle doit tant se forcer que ses muscles s’engourdissent, au bout d’un moment, et elle espère fort, très fort que ça ne se voit pas, puisqu’elle ne veut pas que ces vies si brèves s’effacent dans un goût amer de tristesse. Elle console, réconforte, rassure, plaisante parfois. Mange avec eux et se surprend à sentir le goût de ce qui entre dans sa bouche, de ce qui se pose sur ses lèvres. Ensuite, c’est comme si tout se perdait dans un abysse. Rien ne ressort de Kreis. Néanmoins, elle continue de prétendre à ces hommes, ces femmes, ces filles et ces farçons qu’elle est comme eux. Pense à respirer fort après une course. A sembler normale. Vivante. Efforts terriblement vains.
Kreis s’arrête au milieu d’une foule. La capitale est, comme souvent, en état de fête. La vie bat son plein. Elle ne se sent pas bien, ainsi bousculée, piétinée sans merci. Elle devrait être heureuse. Au moins, parmi eux, personne ne meurt. Pourquoi n’est-elle pas heureuse ? Voilà la raison pour laquelle la reine la déteste. Kreis devrait être reconnaissante. Sourire avec sincérité.
Elle l’est. Du moins, idolâtre sa créatrice, lorsqu’elle ne la hait pas. Le tumulte d’émotions contradictoires qu’elle ressent envers cette instance supérieure et immuable, malgré les âges, et qui pourtant donne la vie, projette son esprit contre des pics de diamant invisibles, la déchiquetant chaque fois un peu plus de l’intérieur, agrandissant indéfiniment cette seule plaie que son abominable pouvoir de régénération ne peut pas guérir.
Kreis sourit. Regarde, Gesetz, regardez, êtres, Kreis sourit.
Pourquoi détournez-vous la tête ?
Pourquoi ignorez-vous le corps immaculé ?
Pourquoi mourrez-vous ?
Histoire
Kreis 001
Kreis ouvre les yeux et son corps n’est que souffrance. Sa première expérience de la vie est la mort, la mort partout, aveuglante, paralysante.
Gesetz lui accorde tout juste un regard dur.
― Debout.
Son unique parole résonne. Tout développement est superflu. La fonction pour laquelle Kreis vient d’être conçue est programmée en elle. Il ne lui reste plus qu’à se lever et exécuter ses ordres. Sa mission est la plus simple qui soit. Sommer, soustraire et obtenir zéro.
Kreis se tient debout, aux côtés de la reine, s’efforçant de sourire pour ne pas lui faire honte, malgré la douleur, instinct puérile et innocent. Elle n’a pas encore compris tout à fait ce qui se passe autour d’elle, pourquoi le mal brûle si intensément ses entrailles. Morceau de toile blanche taché de cibles rouges, arrachée à un ouvrage inachevé. Minuscule, comparée à sa créatrice. Minuscule, vis-à-vis de cette forme immense, hérissée de pics sombres et de crocs démesurés, la scrutant avec mépris, provoquant en son for une terreur profonde. Minuscule, dans l’immense paysage noir où elle ne ressent, plus qu’elle ne distingue, qu’un horrible manque. L’absence de vie.
Ses sens se développent et l’environnement la frappe de plein fouet. Des relents de fer et de pourriture lui parviennent. Ses pieds nus s’enfoncent dans une bouillie rouge sombre et noire. Mais le pire est le silence.
Le désastre l’entoure. Kreis s’y identifie déjà. Kreis est un désastre.
Des larmes coulent sur ses joues, qu’elle ne peut retenir, tandis qu’elle entrevoit enfin l’ampleur de sa mission. Ses larmes de créature sont des flots de sang, plaies invisibles et laides. Kreis ne peut pas accomplir sa tâche. Kreis n’en est pas capable. Elle s’agenouille brusquement et lutte contre l’accomplissement inné de ses fonctions. Le visage de la souveraine se tord de rage.
Le monstre s’approche en grondant pour punir sa faiblesse. Il l’enserre et brise lentement ses os. Tétanisée, elle ne songe pas même à crier. La torture réduit sa chair neuve en lambeaux. La douleur est terrible ; l’énergie du désespoir ou l’instinct de survie lui fait peu à peu reprendre ses esprits. Kreis panique, s’agite, empirant les blessures, supplie, implore pitié. Elle aperçoit Gesetz, partant, l’abandonnant à son sort. Une souveraine a d’autres soucis.
Toutefois, avant que le châtiment brutal ne fonde sur Kreis, quelque-chose s’était déjà craquelé en Kreis. Chaque coup porté lui fait mal, monstrueusement mal, mais demeure un murmure, face aux trilles silencieux vrillant son âme à chaque fois qu’un être perd la vie. Elle jure sans doute qu’elle ne cherchera plus à éviter son rôle. Demande pardon. Ses plaintes sonnent faux. Elle devine des crocs tomber sur sa jambe et en dénuder l’ivoire. Elle sent des griffes percer son ventre et dévoiler un mélange poisseux et informe.
Kreis espère que sa peine va s’arrêter. Kreis espère que son existence va s’arrêter. Tout n’est que regrettable erreur.
Cependant, Jäger se lasse et la violence se tarit. Il délaisse sa victime dans la flaque de sang immense et croupissante que sont devenues les plaines du vent à cet endroit-là. Kreis s’étonne d’être encore consciente. La mort s’empresse de lui rappeler qu’elle ne connaitra jamais de repos. Finalement, aucun de ses vœux ne s’est réalisé. Le poids la tiraillant s’est juste allégé d’une poussière lorsque son supplice physique a cessé. Et elle est vivante.
Son bourreau formule une ultime menace, puis s’envole ; des fourmillements désagréables la parcourent et son enveloppe charnelle se recolle, se reconstitue à l’identique. Sa fonction reprend, instinctive. A des kilomètres de là, des fleurs s’épanouissent. Des animaux copulent. Des organismes minuscules, dont elle seule a une conscience si aiguë de leur présence. Le vivant grouille à nouveau, peu à peu.
Pourtant, rien ne pousse autour de Kreis. Elle se lève, le corps sale mais comme neuf, seule rescapée de la catastrophe qui a eu lieu ici et dont elle n’a perçu que l’assaut final, le décès pratiquement simultané de centaines d’individus anonymes. Une souffrance atroce.
Kreis concentre ses efforts en ce point de la prison, pousse les graines jusqu’à la terre noire, fait rouler les œufs jusque dans la boue huileuse. Ses tentatives rencontrent un échec. Le sol reste résolument stérile. Les animaux la fuient. L’herbe s’arrête aux pieds du cimetière gigantesque sans l’envahir.
La grande désolation. Sans doute la pire des tragédies de Gefängnis. La fin. Toute la vie ayant quitté ici les corps ensevelis s’est évaporée pour toujours, créant un déséquilibre terrible. C’est pour ça que Kreis a été créée. Pour réajuster la balance. Pour rajouter dans ses calculs la matière organique qui vient d’un autre monde fertile. Pour panser tant bien que mal la blessure profonde de cet univers.
Et que le Kreis tourne. Inlassable.
Kreis sent une angoisse démesurée s’emparer de son âme, liée à ce lieu. Plus rien n’y pousse. Plus rien n’y poussera jamais. Meurtrie par son impuissance, elle part en courant, ne pouvant regarder ce paysage sans se sentir responsable. Coupable.
Kreis a commis une faute en étant faible. La première d’une longue liste.
Kreis 003
Anomalie.
Kreis s’est déplacée aussi vite qu’elle pouvait jusqu’à la chose lorsqu’elle l’a ressenti. Elle n’a pas réussi à mettre de mots sur cette sensation nouvelle. Elle se penche au-dessus du berceau, abasourdie, et contemple le nouveau-né. Le nourrisson sourit malgré l’expression inquiète qu’elle lui montre, tend aussitôt vers elle ses poings serrés. De pierre.
Horrifiée, Kreis s’éloigne à reculons, puis fait volte-face. Elle dépasse une mère gémissante et un père affolé, coléreux, qui cède brusquement à la violence et lui jette tout ce qui lui passe à portée de mains. La vaisselle se brise contre son dos et Kreis fuit en courant cette maison maudite, cette bourgade de l’est, non pour éviter les éclats de terre cuite et les lames émoussés, mais pour creuser le plus de distance possible entre Kreis et ce que Kreis a créé.
Soudain, s’arrête. Se retourne, blême.
Le bébé est mort. Quelqu’un la tué. Le crâne brisé par une pierre. Kreis n’est qu’une imbécile. Ses genoux cèdent sous son poids. Kreis s’effondre dans le sable du désert. Qu’a-t-elle fait ? Qu’a-t-elle fait ?
Elle porte ses mains à son visage. Lacère ses joues. Aussitôt, les picotements surviennent et sa peau se remet en place, immaculée. Pourquoi cet humain et pas Kreis ? Tout sonne si injuste ! Tout est de sa faute !
Maudite tâche.
Ses mains enserrent son corps maigre comme en signe de réconfort. Sans parvenir à amoindrir sa peine. Kreis murmure des excuses au vent. elle ne comprend pas ce qui est arrivé, comment elle a pu modeler cet être incomplet, complété au hasard par un élément qui échappe à son contrôle, en guise de substitut horrible. Nonobstant, Kreis pressent intimement que l’incident va se reproduire. Cela l’angoisse atrocement. Gefängnis est sans pitié envers les erreurs. Kreis n’en est-elle pas une preuve ?
Jamais plus… Jamais plus… Jamais plus quoi ?
En miettes, Kreis se lève, songeant à la fin de cette promesse. Elle traverse en sens inverse le chemin qui la mène au château, infiniment plus lentement qu’à l’aller, blafarde. A tout instant, un décès, coup de massue intérieur, la fait trébucher.
Kreis pourrait s’élever face aux hommes, les menacer pour qu’ils acceptent ses erreurs. Cependant, elle s’en sait incapable. Elle n’a pas ce droit. Les hommes ne la respectent pas. Ne la craignent pas ; au contraire ! Kreis est une enfant. Un monstre. Une créature.
Dans le hall, Jäger l’attend. Avant qu’elle n’ait pu esquisser le moindre mouvement de fuite, il la saisit par les cheveux et la traîne tel un ballot de fumier jusqu’à son antre. Il sait, pour la pénurie. La gigantesque créature sait toujours tout ce qui concerne Kreis. Il l’accuse. Sa créatrice ne dément pas. Elle est ailleurs, comme d’ordinaire. Elle n’a plus adressé la parole à Kreis depuis sa naissance. Pas même pour lui répondre lorsque Kreis s’est enquise de ce qui avait eu lieu à la grande désolation. Gesetz s’était contentée d’appeler Jäger et réclamer qu’on la punisse pour son insolence.
Kreis crie.
L’énorme monstre ne peut-il comprendre que son existence entière est un perpétuel repentir de souffrances ?
Indifférent, Jäger découpe et se repait des hurlements. Chacun sa fonction. Celle de Kreis est d’avoir mal. Celle de Jäger est de faire mal. Il voit peut-être là une forme de justice dans ce système.
Lorsque plus une once de sa peau n’est blanche, il jette Kreis dehors. Recroquevillée sous la pluie battante, elle contemple d’un œil tuméfié ses mains. Elles ne sont pas de pierres. Elles sont même chaudes et douces. Ironie. Sa gorge émet un étrange gargouillis.
Ça y est. Kreis a trouvé sa promesse. Kreis se souviendra d’eux tous. Ces êtres partiellement organiques, partiellement inertes. Ces Chimères. Elle retiendra chacun de leurs noms, chacun de leurs traits.
Un son bizarrement familier se fait entendre. Kreis le trouve apaisant. Elle cherche la source longtemps avant de comprendre. Sa propre voix.
Kreis chante une berceuse.
Kreis 020
Autour de Kreis, le monde du vivant naît et meurt. Grausamkeit accueille les Perdus. Jäger la punit parce que les Chimères sont à chaque Kreis un peu plus nombreuses.
Kreis a pris le parti d’être présente à chaque naissance d’une Chimère. Tapie dans l’ombre, derrière les cloisons fines, écoutant attentivement les paroles échangées pour capter un nom, des espoirs qu’elle sait vain. Elle observe de loin les réactions. Discerne la détresse et la peur, la haine et la colère, l’élan protecteur et le rejet, la fausse joie et le dégoût. La honte. L’accablement. Le questionnement. Kreis ressent ces dernières émotions plus qu’aucune autre.
Sa mémoire emmagasine sans protester toutes les informations qu’elle veut garder sur ses fautes. La deuxième a mis du temps à venir au monde. Sept Kreis se sont déroulés dans une quiétude menaçante, sur le fil. Kreis souffrait de sa mission, mais subissait moins de tortures.
Puis un nouveau-né aux os de bois avait vu le jour. Muroi. Kreis n’oublierait pas.
Il avait vécu plusieurs décennies avant de mourir à son tour. Fragilisé par son défaut de fabrication, il n’eut jamais une vie facile. Kreis venait lui rendre visite, sans l’approcher, de temps-à-autres. Voir ses membres se rompre en faisant des petits copeaux sous sa chair la blessait autant que de devoir compter les morts.
Au chevet de son lit de mort, Kreis était là. Elle s’était excusée pendant des heures. Mais la Chimère l’avait regardé avec bienveillance. Il ne lui en voulait pas. Ils avaient discuté longuement, la soulageant momentanément de sa peine. Jusqu’à ce que Muroi ne meure et qu’elle ne revienne au galop.
Jäger l’avait punie d’avoir négligé ses fonctions pour parler si longtemps à un humain raté, même si ce n’est pas vrai, même si normalement elle a le droit d’adresser la parole aux autres être-vivants que les créatures et les maîtres. Le monstre la déteste tant qu’il choisit parfois de maigres prétextes pour défouler ses ardeurs sur quelque-chose. Cependant, il la terrifie encore suffisamment pour la persuader sous la menace de corriger telle ou telle de ses manières d’exister.
Et les Chimères reviennent désormais à chaque Kreis.
Kreis guette les difformités. Elle apprend chaque jour un peu plus de chants, un peu plus de routines rythmant la vie d’un Gefängnisien. Le temps passe milles interrogations qu’elle n’ose plus poser demeurent. Toutefois, l’une d’elles est plus forte que toutes les autres. La vision du monde de Kreis est en jeu. Elle a besoin de savoir.
Un matin, Kreis prend son courage à deux mains et monte dans les quartiers de la reine. Majestueuse tant qu’effrayante, comme toujours, Gesetz poursuit ses occupations sans les quitter des yeux en la chassant d’un signe vif de la main. Vainement, pour une fois, car Kreis reste sur ses positions et balbutie sa question. A force de peser le pour et le contre, elle a convenu qu’elle préférait être fixée là-dessus quitte à être déchiquetée ensuite.
― Kreis… Kreis a vu des millions d’êtres-vivants. Kreis a vu qu’elle ressemble surtout aux humains. Et les humains sont des animaux et les animaux font… les animaux ont tous une maman. Kreis aimerait savoir si Gesetz est sa maman.
Kreis retient son souffle. Respirer n’est de toute façon qu’un artefact esthétique pour elle. Une trop longue seconde s’écoule. Son interlocutrice a suspendu ses gestes.
La souveraine éclate de rire. Cynique.
Kreis attend qu’elle appelle Jäger. Attend une parole, une réaction. Nonobstant, elle ne reçoit que ce rire, intarissable, effrayant. La reine va attirer tout le château, la gorge ainsi déployée. Alors Kreis fuit. Elle ne veut plus voir cela. Plus entendre.
Kreis a eu sa réponse. Elle n’est qu’un objet. Gesetz l’a fabriquée mais ne l’aime pas. C’est un jouet, non, un outil, rien de plus. Ainsi ne meurt-elle pas. Kreis, la créature de la vie et de la mort, n’a pas de vie, pas de mort.
Kreis 045
Depuis quand Kreis n’a-t-elle plus crié de douleur ?
Recroquevillée en position fœtale sur le sol, elle attend les coups promis par Jäger. Voilà bien des Kreis qu’elle ne gémit plus, n’émet plus une plainte lorsque les griffes s’abattent ; elle les devine aussi lasses que son âme.
Impuissance.
Kreis n’a rien pu faire. Des existences apeurées s’éteignent, loin de là. On brûle, on massacre, on égorge, on écartèle, on punit les chimères pour la faute commise par leur seule vie, pour les fautes innombrables de la créature, tournant et tournant encore sur elle-même, sur son Kreis. Des notes de musique s’échappent de ses lèvres entr’ouvertes ; un air mélancolique.
Désespoir.
Kreis attente à sa vie. Chaque fois qu’elle trouve un moment, une idée de plus pour faire disparaître son enveloppe charnelle. Chaque fois qu’aucune chimère ne naît, usant le peu de temps dont elle dispose avant l’erreur suivante pour plonger dans une eau bouillante, pour s’empaler sur des lances, pour se ruer au-devant d’un ouragan, pour se laisser écraser par un rocher, pour s’emprisonner dans la glace, pour…
Le punisseur des créatures veille. D’un geste brutal, il l’expulse de l’eau, la décroche des armes, la cloue au sol, repousse les pierres comme des grains de sables, fait fondre la glace…
Gesetz n’a pas créé Kreis pour qu’elle cesse de vivre un jour. Kreis ne meurt pas. Tout se recolle en Kreis, dans d’atroces souffrances, chaque particule d’elle se fixe à nouveau et la reconstruisent tel un puzzle autonome. Contre sa volonté, qui s’effrite un peu plus alors.
Seuls les pigments de son corps disparaissent. Du moins, sa peau s’éclaircit, tandis que les marques circulaires deviennent de plus en plus rouge, créant un contraste laid et angoissant. Si elle continue, finira-t-elle par s’estomper ? Mais elle passe devant un miroir et doit se rendre à l’évidence : sa peau blanche dénote de plus en plus sur tout le reste, cette enveloppe qu’elle ne parvient à tacher de rien, ni de boue, ni de peinture, ni de son propre sang. Chaque fois, la pâleur revient et Kreis est pointée du doigt, car elle est différente. Oh, mais cela ne serait pas grave. Si le doigt ne mourrait pas.
Kreis 1??
Quand Kreis a-t-elle cessé de compter les Kreis ? Comment a-t-elle pu savoir un jour ce qu’un Kreis ? Où commence-t-il, où finit-il ? Un Kreis tourne en rond, il n’a pas de bout. Alors c’est bien ça. Kreis tourne en rond, et son existence n’a pas de bout.
Kreis ???
Une épaule la percute en plein visage. Au sol et abasourdie, elle voit une main se tendre vers elle. Basile. Ce n’est ni une chimère, ni une créature, rien qu’un humain normal. Kreis ne leur prête pas attention, habituellement, ou plus, puisqu’à une époque lointaine, elle se mêlait plus volontiers au monde du vivant.
D’où viennent ces esclaffements ? D’où vient cette joie moins feinte que d’ordinaire ? Basile lui marche sur les pieds, fait tomber sur elle des aliments brûlant ou des objets lourds et tranchants, se confond en excuse en se précipitant, tout naïvement, pour l’aider et panser sa blessure, que Kreis sait déjà cicatrisée, avant de plaisanter avec désinvolture et partir d’un grand éclat de rire. Il ne comprend pas qu’elle n’est pas comme lui. Il ne voit rien. Et Kreis se sent soulagée par cette ignorance.
Basile parle, parle encore et la noie sous les paroles, parfois peut-être incohérentes, toujours désordonnées. Qu’importe, Kreis écoute, pendue à ses lèvres, jusqu’à ce qu’il reparte vaquer à ses occupations, laissant la créature seule et à nouveau plongée dans son obscure peine.
Un homme la dépasse en ne la regardant pas. Elle cache souvent son visage troublant, de jour, désormais que son teint est presque cadavérique. Elle frissonne en le reconnaissant. C’est Hurle, le chef des rafleurs. Cause de trop de morts injustes. Le jour où sa maison a brûlé, Kreis était de passage. Elle surveille toujours assidument les chimères, ses créations ratés, sa honte la plus terrible.
Là, une femme criait. Kreis ne sait pas pourquoi cette chimère a agi ainsi. Elle ne comprend pas tout de la vie. Elle était tétanisée, ne sachant que faire. Et les cris se sont tus. Elle a vu le regard du jeune homme, sa jeune sœur, traumatisée à jamais, dans les bras. Lu le dégoût, mais sans voir l’autre lueur, l’essentiel. Ce jour avait brisé quelque chose en lui.
Il créa les rafleurs. Rongée par le remord, Kreis se cacha pendant des mois. Jusqu’aux premières rafles.
Elle accourut. Des cadavres, des monceaux de corps, jonchaient le sol. Et le jeune homme était là. Sa sœur ne l’accompagnait pas, manière, peut-être, de la préserver de l’horreur ; cette homme était-il encore capable d’un tel sentimentalisme ? Toutefois, le mal était fait. Elle ne déteste pas cet humain. Elle ne déteste personne, sinon elle-même.
Kreis, une fois, une seule, aurait pu agir. Kreis ne craint pas les flammes. Kreis aurait pu marcher jusqu’à l’humaine et la tirer de là, plutôt que d’attendre son dernier soupir et sentir son décès se rajouter à la liste indénombrable. Kreis aurait dû la sauver. Sa nature entière s’oppose à ce qu’elle agisse sur la vie et la mort. Mais cette vie-là représentait une simple goutte d’eau, impuissante à éteindre un brasier.
Sujet: Re: Kreis [the end of the line?] Dim 25 Jan - 21:46
Bienviiienduuuue Kreiiis! Ravie de voir que tu as finalement cédé aussi vite ♥ Bon courage pour la fiche, si tu as des questions, il ne faut pas hésiter! Mais tu le sais :3 Bref, il me tarde de lire cette fiche **
Sujet: Re: Kreis [the end of the line?] Mer 11 Fév - 21:17
Owww merci à vous tous, ça me touche beaucoup et me met la pression ! Je vous aime !!
EDIT Mon développement touche à sa fin, mais comme j'ai prit tout de même quelques libertés, j'aimerais votre avis avant de confirmer qu'elle est bien terminée.
Abschaum
Créature
Feuille de personnage ÂGE: D'apparence, une vingtaine d'années. OCCUPATION : Gardienne des Eaux ADHÉSION : Allégeance au Roi
Sujet: Re: Kreis [the end of the line?] Ven 13 Fév - 19:31
Alors, après la lecture de ta fiche, j'ai effectivement une remarque ou deux à faire. Tu as assez bien compris le personnage, mais elle fait trop victime. Kreis est plus fière que ça! Malgré les souffrances, elle fait en sorte de garder la tête haute et ne s’apitoie pas autant sur son sort.