i. 00 ans.
Elle sourit Lyra.
Elle sourit Lyra, parce qu’elle sait qu’elle va vivre.
Elle a entendu un cri, Lyra.
Le cri de Kreis.
Kreis cri, oh Kreis semble si triste, si en souffrance.
Parce qu’à cause de Kreis, il y a Lyra qui est née.
Parce qu’à cause de Kreis, il n’y avait pas assez de « choses » pour fabriquer ce petit corps qui allait abriter son âme. Lyra n’était qu’une chose dans chair, Lyra était un de ces êtres affreux qui ne ressemblait à rien. Alors, à Lyra, on lui a fabriqué ce petit corps fragile. Ce petit corps si froid. Ce petit corps qui se briserait au moindre choc, révélant ainsi les abîmes de son enveloppe.
Ce corps de porcelaine semblable au corps humain. Ce corps qui faisait d’elle un de ces êtres que l’on appelle « chimères ».
Mais elle naissait avec l’avantage de paraître « normale ». Oui, Lyra atteignait la normalité grâce à ce corps couleur chair. Lyra pouvait paraître normale aux yeux des autres. Normale aux yeux des rafleurs. Lyra devrait vivre avec ce secret, ce secret qu’elle devait cacher au fond de ce corps dans lequel elle était emprisonnée.
Emprisonnée ?
Non, Lyra pouvait bouger.
Lyra pouvait se mouvoir dans tous les sens. Lyra pouvait vivre comme un être humain, comme un natif, comme les autres. Lyra pouvait, grâce à ce corps, vivre cette vie qu’elle avait tant envie de vivre.
ii. 6 ans.
Assise, au fond de la pièce qui lui sert de refuge de passage, elle panse son corps blessé, son corps qu’elle a brisé en se cognant contre un arbre ou en tombant contre des pierres. Les trous laissés par la porcelaine brisée se font recouvrir de tissus élimés, de bandages. Et Lyra attendra quelques jours.
Quelques jours, le temps que ses cellules se régénèrent. Parce que Lyra devait protéger ce corps et ne pas montrer ce qu’elle est réellement. Parce qu’à aujourd’hui, cela faisait 6 ans que Lyra cachait ce secret. Et là –bas, assise sur le sol poussiéreux, elle remettait ses vêtements pour cacher ses bandages.
Elle se leva, poussa un soupir. Un rayon de soleil traversant la petite fenêtre vint se poser sur son corps pâle. Elle regarda, d’un air passionné, toutes les petites particules de poussière voletant dans l’air. Parfois, elle remuait le bras pour les agiter, les faire voler plus haut. Elle se trouvait un peu comme ces grains de poussière. Lyra se sentait petit atome dans un monde si vaste. Lyra pensait à ceux qui lui avaient donné la vie. Elle regardait les petites particules flottant dans l’air, en se disant qu’ils étaient là, quelque part dans ce monde. Mais que sûrement jamais elle ne les verrait.
Alors Lyra tangue dans ce monde instable. Elle ne sait pas comment vivre. Elle survit, c’est tout. Elle survit avec ce secret au fond d’elle-même.
Ses pensées s’estompèrent quand elle entendit Eisen arriver. Parce qu’Eisen, c’était un peu tout pour elle. C’était son compagnon de misère, c’était celui qui devenait son meilleur ami au fil des jours, parce qu’Eisen était aussi une chimère, tout comme elle. Mais plus cette amitié s’ancrait dans son cœur, plus la culpabilité l’atteignait car, Lyra, à l’inverse d’Eisen, lui cachait son identité. Jamais elle n’avait dit à son meilleur ami qu’en réalité, elle avait une peau de porcelaine, jamais elle ne lui avait dit qu’elle était, tout comme lui, en danger dans ce monde.
Quand il entra dans la pièce, elle senti son cœur battre sous sa poitrine froide. Il s’assit par terre, l’entrainant dans sa chute, prit sa main froide. Parfois, elle se demandait s’il ne remarquait rien, à tenir une main si froide.
- Eisen, est-ce que tu ne vois pas ? L’interrogation qui se lisait sur le visage d’Eisen faisait comprendre à Lyra qu’il ne savait pas de quoi elle parlait. Elle souleva ses manches, révélant les bandages qu’elle nouait autour de des brisures de son corps. Elle en défit un sur son bras gauche, une fracture nette de quelques centimètres de longueur.
- La porcelaine.
Elle toqua sur son corps. Eisen le toucha des bouts des doigts, comme s’il avait peur, comme s’il n’y croyait pas. De sa main froide elle toucha son bras. De ses yeux elle observait le visage de chimère d’Eisen. Elle posa sa main sur ce visage-là, touchant les parties métalliques qui en sortaient.
- On est pareils, maintenant.iii. 8 ans.
Elle divaguait toujours autre part, Lyra. Parce qu’elle n’avait pas bel endroit pour vivre en tant qu’orpheline cachant une identité.
Elle déambulait dans les rues de la ville, passant ses journées à jouer à la funambule sur les bords des trottoirs, bousculant par moments quelques personnes, cherchant la nourriture qu’elle pouvait trouver, cueillir, récolter, ou voler avec Eisen.
Rien n’avait changé avec Eisen.
Parce que la misère était toujours aussi présente pour les deux orphelins.
La rue était leur lieu de vie. Le froid leur pire ennemi.
❀✿❀
- […] Et Amsel, avec de la lame pure de son épée, tua la Grande Epineuse et ramena la paix dans notre monde.Cela faisait plus d’une heure qu’elle écoutait l’histoire de celui qu’on appelle « Le héros de Gefängnis » avec passion. Ses yeux s’illuminaient d’admiration devant cette légende, son esprit s’emplissait de joie, d’envie, de courage, et d’aventure. Elle vivait dans ce monde depuis longtemps déjà, elle entendait des lieux, des endroits porter le nom de cet héros et pourtant, jamais elle n’y avait porté attention.
Lyra vivait dans un monde sauvé par un héros.
Lyra vivait dans un monde sauvé par un héros, et jamais elle ne l’avait remarqué.
Lyra ne se concentrait que sur sa vie, sans jamais prendre le temps de regarder autour d’elle.
Ce soir là, assise en tailleur, elle savait que tout allait changer. Parce que ce soir là, Lyra commença à s’intéresser à celui qui avait changé l’univers qui était sien.
- Amsel …Elle prononça son prénom à voix basse, d’une manière fascinée.
C’était la naissance de sa passion pour le héros.
Cette nuit-là, Lyra rêverait d’Amsel.
❀✿❀
Dès le lendemain elle était partie, tôt dans la matinée, prendre le chemin pour les plaines Vermillon, et voir ces collines osseuses dont on lui avait parlé. Là-haut, le vent soufflait en faisait voleter ses cheveux d’anges, mais Lyra était charmée par le paysage. Parce qu’elle sentait que ce paysage était empreint de légendes vraies. Elle foulait l’herbe d’un pas lent, prenant le temps d’observer ce qui l’entourait. Parce qu’elle aimait ça, Lyra. Ici, elle sentait comme le vent qui lui murmurait de nouvelles légendes inconnues sur Amsel.
Elle touchait, posait ses mains sur les pics de marbre blanc, laissés comme carcasse de l’Epineuse.
- Il t’a bien réglé ton compte, à toi ...Oui, Lyra avait envie de rire, ici. Mais elle savait que tout cela était vrai. Que tout ce que l’on appelle des « légendes » sont en réalité des histoires de personnes qui ont existé un jour et qui ont tenté de ramener la paix dans son monde.
Elle parcourait la colline en scrutant le sol, comme si elle cherchait la cicatrice laissée à la Grande Epineuse par la lame pure d’Amsel. Parfois, elle s’arrêtait, s’accroupissait et arrachait l’herbe haute pour tenter de voir une quelconque fissure sur la terre. Des fissures comme quand elle cognait son corps de porcelaine, avant d’en perdre les fragments qui s’éclatent sur le sol.
iv. 12 ans
Quatre ans déjà.
Quatre ans déjà que Lyra avait écouté cette histoire durant cette interminable nuit ou rêves et passions s’entretenaient durant son sommeil.
Tout avait changé pour Lyra.
❀✿❀
C’était ce jour-là où Lyra se rendit à la maison d’Amsel. Car ce jour-là, Lyra était allée emménager dans la maison pour lequel elle avait eu le coup de foudre. Personne n’avait la certitude que la bâtisse qu’on appelle « La maison d’Amsel » eut un jour abrité le héros de la prison. Mais Lyra y croyait dur comme fer. En ce jour du printemps, après un hiver froid dans la rue, elle avait décidé d’emménager dans la maison qui portait le nom de son héros pour l’entretenir et y vivre.
Lyra s’y était déjà rendue autrefois, mais quand elle arriva cette fois-là, la fois où elle avait décidé d’offrir et de consacrer sa vie au héros de Gefängnis, elle senti son cœur se resserrer en passant le seuil de la porte.
Pour Lyra, c’était le début d’un nouveau chapitre.
Non, c’était même le début d’un nouveau livre.
Lyra savait qu’en passant le seuil de cette porte, sa vie prendrait un tout autre tournant. Fini sa vie de misère. Fini sa vie de petite fille de la rue. Fini sa vie d’orpheline. Lyra était désormais celle qui vivrait et qui dormirait dans la maison d’Amsel ; celui qu’elle aimerait toute sa vie.
v. 14 ans.
Un jour, on vint à nouveau toquer à sa porte.
Et elle connaissait ce « toc-toc » qui sonnait tristement. C’était le « toc-toc » de Lutèce.
Depuis l’entrée d’Amsel et de ses contes dans son cœur, son seul but était de vouloir, tout comme Amsel l’avait fait, rendre le monde meilleur, rendre les gens meilleurs. Comme l’aurait voulu Amsel. Alors quand un « toc-toc » résonnait contre sa fine porte en bois, elle s’empressait d’ouvrir pour y trouver Lutèce, Basile ou Eisen. Ils étaient de ceux qui se confiaient le plus à Lyra, chacun avec des problèmes, des vies, des histoires différentes.
Et Lutèce, quand il entra dans la pièce, comme à chaque fois, elle avait envie de faire tout ce qu’elle pouvait pour aider cette chimère qui se disait être capitaine des rafleurs. Parfois, elle avait peur que Lutèce découvre ce secret qu’elle cachait toujours autant au fil des années, la seule personne le sachant étant Eisen. Lyra voulait faire de Lutèce quelqu’un de meilleur, quelqu’un qui soit heureux dans ce qu’il est. Lyra voulait la même chose pour tout le monde. Tout comme Eisen. Lyra souhaitait de tout cœur retrouver le Eisen de son enfance. Celui avec qu’il elle avait partagé la misère et les douloureux hivers glacés.
Parce qu’Eisen avait changé. Parce que Lyra avait changé. Lyra était devenue adoratrice d’Amsel. Eisen était devenu encore plus « Eisen » qu’avant. Mais Lyra éprouvait toujours cet amour profond et fraternel pour Eisen. Elle voulait lui rendre ce fond qui l’avait tant touchée étant petite. Evidemment, Lyra allait toujours vers Eisen pour lui parler, à son plus grand plaisir, mais elle sentait que tout n’était plus comme avant. Parce que désormais, Lyra fourrait son nez de chimère dans les affaires des rafleurs. Dans les affaires des rêveurs. Dans les histoires de ceux qui font le mal. Dans les histoires de ceux qui se sentent mal. Lyra avait toujours cette obsession-là qui effraie Eisen au plus haut point. Lyra voulait rendre ce monde meilleur, à l’image d’Amsel, en tentant de faire ses petites actions insuffisantes.
Depuis qu’Eisen savait que Lyra était chimère, et encore plus depuis qu’elle était devenue ce que l’on appelle une adoratrice d’Amsel, il avait peur pour elle.
Mais jamais la petite chimère de porcelaine ne renoncerait à son vœu.
vi. 16 ans.
Amsel,
J’espère qu’un jour, tu verras ce monde meilleur. J’espère que de-là où tu es, tu vois que le lendemain de notre monde sera mieux. Amsel, j’espère que tu ne m’en veux pas que je vive dans tes lieux. Amsel, j’aime ce que je fais, grâce à toi.
Crois-tu qu’un jour, les rafleurs ne seront plus ceux que l’on connait ? Crois-tu vraiment que notre monde est voué à s’autodétruire ? Crois-tu que quelqu’un d’autre découvrira que je suis une chimère ? Amsel, je me pose tellement de questions sur ce monde en péril.
J’aimerai pouvoir changer les gens que je connais, les gens qui vivent dans mon monde. J’aimerai pouvoir faire des rafleurs des gens meilleurs, j’aimerai soigner ces personnes qui souffrent. J’aimerai pouvoir offrir tant de choses aux habitants de cette prison, mais Amsel, je sais que tout cela ne rime à rien.
Amsel, mon monde est en train de mourir, et je n’y peux rien.
J’espère que de là où tu es tu reviendras. Ici tu vis toujours.
Lyra, ton adoratrice. »